De tout temps, en effet, les socialistes français ont toujours fait montre d'une sympathie manifeste et d'un soutien politique et moral sans faille à Israël avec lequel ils partagent les mêmes affinités idéologiques.
Comme l'écrit à juste titre Denis Sieffert de la revue Politis, le système sémantique des socialistes «s'articule sur une série d'interdits. Ce n'est pas un conflit colonial».
À Ghaza, il n'y a pas de «blocus». Et, en face, ce sont des «terroristes». L'attachement que les socialistes éprouvent à l'égard d'Israël les rend aveugles et insensibles à la souffrance des autres, à celle des «indigènes» d'aujourd'hui : les palestiniens.
L'émoi que suscitent chez eux les roquettes lancées par le Hamas sur Israël les fait «trébucher» sur les mots au point de commettre des «bourdes».
C'est que la passion «amoureuse» pour Israël et les émotions bibliques qu'il éveille chez les socialistes les empêchent souvent d'appréhender les choses avec l'impartialité que requiert la probité intellectuelle.
En l'occurrence, et s'agissant de la position de François Hollande vis-à-vis de Ghaza écrasé par les bombes, elle trahit sans équivoque une stigmatisation de la victime agressée - Ghaza - et un parti pris en faveur de l'agresseur - Israël.
En dépit des ressources sémantiques que lui offre la langue, Hollande n'a pas su pourtant en faire bon usage au sens «diplomatique».
Dit autrement : «Le langage diplomatique est pourtant assez riche en litotes et autres circonlocutions pour qu'un homme politique d'expérience ne trébuche pas sur un dossier aussi ancien - hélas - que le conflit israélo-palestinien.
Trébucher, c'est pourtant ce qui est arrivé, le 9 juillet, à François Hollande.(1) Au soir des premiers bombardements sur Ghaza, il a cru devoir assurer de sa «solidarité» le Premier ministre israélien, sans un mot pour les civils palestiniens morts le jour même.
Faut-il que le sujet soit chez lui passionnel pour qu'il en oublie ainsi «la position traditionnelle de la France» et les obligations de sa fonction ? Le trouble a été perceptible une seconde fois, lundi, lorsque le journaliste Gilles Bouleau, préposé à l'interview du 14 Juillet, l'a interrogé sur ce qu'il faut bien appeler une énorme bourde.
«Ce que j'ai dit…», a répondu François Hollande, c'est qu'Israël «a droit à sa sécurité» et que, «en même temps», il doit faire preuve «de retenue et de réserve». (2)
Il ne s'agit pas ici d'une palinodie de la part de Hollande, mais seulement d'une rectification mineure, d'ordre tactique, d'un jugement qui demeure largement favorable à «la sécurité d'Israël».
Comment expliquer encore cet attachement quasi viscéral de Hollande vis-à-vis d' Israël, sinon par l'idée qu'il s'en fait de la colonisation comme facteur de «progrès» et de «civilisation» pour des peuples restés (comme l'Algérie, la Palestine…) à l'état «primitif» ?
Or, pour lui comme pour tous ses pairs, François Hollande voit en Israël le modèle d'un Etat «civilisé» et «civilisateur» à l'image de la France naguère «civilisatrice des sauvages» des contrées d'Afrique, d'Asie et d'Océanie…
«Car, sur le fond, François Hollande est l'héritier de la vieille tradition coloniale SFIO. Pas plus que Guy Mollet pendant la bataille d'Alger, il ne semble percevoir le caractère colonial du conflit.
C'est pour lui une histoire de démocratie aux prises avec des «terroristes», nés terroristes, et qui le demeurent de père en fils.
Cette représentation d'un peuple sans histoire, qui vivrait à Ghaza dans l'abondance, mais qui aurait la sale manie d'envoyer des roquettes sur le voisin, n'est-elle pas précisément le produit de ce qu'on appelle l'inconscient colonial ? En attendant, François Hollande a plongé dans l'embarras le Quai d'Orsay. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois.
On se souvient de sa visite en Israël, en novembre dernier, et de la fameuse vidéo dans laquelle on le voyait déclarer «son amour», non seulement pour Israël - et pourquoi pas ? - mais aussi pour ses «dirigeants».
On se souvient encore de ses atermoiements lorsqu'il s'est agi d'accorder à la Palestine le statut d'observateur à l'ONU, en novembre 2012. C'est Laurent Fabius qui avait finalement imposé le vote positif de la France. (3)
Certes, les Etats-Unis font mieux et vont encore plus loin que la France dans leur soutien inconditionnel, sans bornes, à Israël, considéré comme leur «ami stratégique».
La dernière preuve administrée en est la déclaration de la porte-parole de la Maison Blanche, Jennifer Psaki, disant que nul pays au monde «ne peut accepter de rester les bras croisés lorsque des roquettes lancées par une organisation terroriste tombent sur son territoire et touchent des civils innocents».
Cette déclaration a été faite au moment même où une trentaine de Palestiniens venaient d'être tués à Ghaza par les bombardements israéliens, et pas une seule victime côté israélien.
Ironie du sort, les journaux anglo-saxons rapportent que le Département d'Etat américain va jusqu'à accuser Hamas d'être responsable de la tuerie des enfants à Ghaza ![US State Department blames Hamas for Israel's murder of Ghaza children].
Mais l'alignement traditionnel et sans condition des USA sur la politique extrémiste d'Israël doit-il justifier celui de la France dont les positions traditionnelles sur le conflit israélo-palestinien ont toujours été, du moins au plan de la forme, relativement «équilibrées» ?
Ce qui est sûr, c'est que «la vieille garde» du PS dont François Hollande représente un échantillon représentatif, n'est guère prête à se départir de ses sentiments d'amitié envers Israël.
Quitte à aliéner l'indépendance politique relative de la France, notamment vis-à-vis des Etats-Unis, politique que le général de Gaulle avait inauguré en son temps, les socialistes d'aujourd'hui se montrent plus que jamais disposés à se plier à la volonté israélienne qui ne tolère ni contradictions ni contradicteurs, en particulier lorsqu'il s'agit de tuer le maximum de palestiniens et de pratiquer la politique de la terre brûlée.
En effet, beaucoup d'observateurs et d'analystes honnêtes de l'Hexagone n'ont pas manqué de relever les partis pris des socialistes en faveur d'Israël et en même temps un déni de justice flagrant à l'égard du peuple palestinien dont toute résistance à l'occupation sioniste est stigmatisée comme un acte attentatoire à «la sécurité d'Israël».
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(1) Voir Denis Sieffert «La bourde de Hollande», Politis, 19 juillet 2014 et (http://www.politis.fr/La-bourde-de-Hollande,27737.html
(2) Denis Sieffert, ibid.
(3) Denis Sieffert, op.cit.
- Ahmed Rouadjia, né en avril 1947 (Algérie), a obtenu son doctorat d'histoire à Paris VII (Jussieu) en 1989. Ex-maître de conférences en sciences politiques à l'Université de Versailles, ex-chercheur au Centre d'Histoire du Droit et de Recherches informatives de l'Université de Picardie Jules Vernes (1991-1999) et de l'INED (1997-2000), ancien assistant stagiaire à l'Université de Constantine (1983-1988), il est actuellement maître de conférences à l'Université de M’sila (2006-2011) et directeur du Laboratoire de Recherche d'histoire de sociologie et des changements sociaux et économiques.
Ahmed Rouadjia
Maître de conférences à l’Université de M’sila