Le Tchad longtemps aux commandes sur le terrain centrafricain subit désormais en première ligne le contrecoup d'une guerre entre chrétiens et musulmans consécutive à une mauvaise habitude centrafricaine, la prise de pouvoir par la force avec l'aide de milices recrutées dans le pays ou à l'étranger.
Depuis son accession à l’indépendance, la République centrafricaine a vécu au rythme des coups d’Etat successifs laissant peu le temps à la démocratie de s’exprimer pleinement. De Barthélémy Boganda considéré comme le père de la nation, David Dacko son successeur à l’empereur Jean-Bedel Bokassa, la Centrafrique vit dans la terreur politique illustrée encore par le régime suivant d’André Kolingba. Et malgré une lueur de démocratie initiée par le sommet de la Baule et les premières élections multipartites de 1993 au cours desquelles Ange-Félix Patassé est élu président de la République, le répit n’est qu’une façade. En proie aux mutineries au sein de l’armée, le défunt Patassé nomme une personnalité qu’il considère comme loyale au poste de chef d’état-major des armées centrafricaines. Il s’agit de François Bozizé. Très vite, l’homme fort du régime Patassé de plus en en plus contesté, est soupçonné de manœuvrer pour prendre le pouvoir. François Bozizé fuit alors la Centrafrique pour se réfugier au Tchad mais pas seul, avec quelques troupes. Dés lors, il mène quelques incursions dans son pays depuis le territoire tchadien mais reste acculé par les forces libyennes assurant la sécurité de Patassé et par les milices congolaises de Jean-Pierre Bemba jugé à la Haye aujourd’hui. Le 15 mars 2003, profitant de l’absence de Patassé en déplacement au Niger, François Bozizé s’empare du pouvoir avec l’aide du Tchad et des miliciens présents encore aujourd’hui au sein de l’ex-Séléka.
Dans le sillage de Mouammar Kadhafi et Omar Bongo
Un premier soutien tchadien suivi par de nombreuses interventions du président Idriss Déby pour aider l’ancien président François Bozizé à se maintenir au pouvoir jusqu’au mois de décembre 2012 date de l’envoi d’une colonne tchadienne à Bangui pour sécuriser la capitale presque aux mains de la rébellion Séléka. Le président du Tchad convoque même un sommet extraordinaire de la communauté économique des états d’Afrique centrale (CEEAC) dont il assure la présidence. Ainsi, les protagonistes de la crise décident de se retrouver au Gabon où naissent les accords de Libreville. Des accords que le régime Bozizé se refuse à respecter selon l’opposition centrafricaine et la coalition Séléka dirigée par Michel Djotodia. Ce dernier prend le pouvoir par un coup de force le 24 mars 2013 et s’autoproclame président de la transition. Laché cette fois par Idriss Déby, son principal soutien jusqu’ici, François Bozizé, qui ne bénéficie plus alors de sa garde rapprochée tchadienne, fuit la RCA. Le 29 mai 2013, un mandat d’arrêt international est émis à son encontre par la justice centrafricaine. S’il décide de rompre avec François Bozizé, le pouvoir tchadien conserve sa présence sur le terrain centrafricain dans le cadre de la Force Multinationale d’Afrique Centrale (FOMAC) par le biais de la Mission de consolidation de la paix en République Centrafricaine (MICOPAX) remplacée aujourd’hui officiellement par la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique (MISCA). Ainsi, le chef de l’état tchadien Idriss Déby n’abandonne en rien son influence en RCA en digne successeur de l’ex-guide libyen Mouammar Kadhafi sans oublier l’ancien président gabonais Omar Bongo. On se souvient que Kadhafi soutenait militairement le régime de Patassé tout comme Omar Bongo qui, lui, avait plaidé avec succès en faveur de l’instauration de la première Force Multinationale en Centrafrique (FOMUC) en 2002.
Pris dans l’engrenage du conflit interconfessionnel
Depuis le 5 décembre, la Centrafrique est en proie aux atrocités et aux violences. Selon Amnesty International, on dénombre un millier de morts, plusieurs centaines de milliers de déplacés. Les milices anti-balaka pro-Bozizé de confession catholique affrontent les milices de l’ex-séléka de confession musulmane. En découlent un amalgame avec la population civile. Les chrétiens et les musulmans qu’ils soient tchadiens ou originaires du nord sont la cible des anti-balaka. En représaille, les anciens combattants de la Séléka répliquent en tuant des civils à leur tour. Illustration de l’atmosphère extrêmement tendue : cinq soldats tchadiens de la MISCA ont été tués le jour de Noël à Bangui. Un cycle infernal de violences qui fait suite à une série d’incidents impliquant les militaires tchadiens dans la capitale. Certains d’entre-eux ont tiré le 22 décembre sur des manifestants à Bangui, la capitale, faisant au moins un mort et une quarantaine de blessés. Plusieurs milliers de personnes en majorité des chrétiens sont alors descendus dans la rue pour exprimer leur colère et demander le départ du président Michel Djotodia mais aussi des tchadiens de la Misca. La Misca a ouvert une enquête. Conséquence : les soldats tchadiens doivent quitter Bangui et rejoindre le Nord du pays. Des accrochages entre militaires tchadiens et burundais ont même été rapportés. Ces incidents en rappellent un autre, le phénomène n’est pas nouveau. On se souvient des tensions de Birao au nord-ouest de la RCA. A la mi-novembre, un soldat tchadien avait été touché par balle à la jambe. A la suite de quoi, une bataille dans les rangs des forces armées centrafricaines avaient fait plusieurs blessés, deux militaires tchadiens et un soudanais. Les soldats tchadiens sont accusés de complicité avec l’ex-rébellion Séléka. Beaucoup sont persuadés que N’Djamena se trouve derrière le coup de force de l’ex-rébellion composée à l’origine de rebelles tchadiens et soudanais, coupables de pillages et de violences envers la population.
Des prétentions diplomatiques et militaires
Au regard de la situation, l’ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Samantha Powers a été dépêchée d’abord en Centrafrique pour discuter avec les autorités de la transition puis au Tchad à Bongor le 20 décembre où le président tchadien Idriss Déby fêtait les 23 ans de sa prise de pouvoir. Elle est venue s’assurer de l’engagement du Tchad en faveur du retour à la paix en Centrafrique et demander des comptes sur les accusations portées à l’encontre des soldats tchadiens soupçonnés de prendre parti pour les musulmans contre les chrétiens. Démenti formel du président Idriss Déby qui qualifie encore la République Centrafricaine de pays frère. Pour autant, N’Djamena a pris des mesures drastiques pour protéger ses ressortissants contre les violences en rapatriant tous ceux qui le souhaitent. Ainsi près de 500 personnes, des femmes et des enfants en provenance de Bangui ont rejoint leur pays d’origine dimanche au début du processus de rapatriement.
Le ton s’est durcit à N’Djamena, la capitale. Les autorités demandent instamment aux centrafricains de se ressaisir et invitent la transition et les forces françaises de l’opération Sangaris à assumer leur part de responsabilité vis-à-vis des tchadiens. Elles demandent à la communauté internationale d’engager une enquête pour traduire en justice tous les responsables des tueries et des exactions commis en Centrafrique. Malgré la situation délicate et inconfortable dans laquelle les soldats tchadiens se trouvent, fort est à parier que N’Djamena ne renoncera pas à son engagement en RCA. D’abord parce que la France a besoin de son soutien, comme ce fût le cas au Mali, pour mener à terme l’opération Sangaris destinée à désarmer les combattants, et puis aussi parce que le Tchad prend la mesure du rôle qu’il entend jouer dans la sous-région en Afrique centrale et plus largement dans la région sahélo-saharienne, voire même sur le continent. Un rôle de gendarme pour assurer certes sa propre sécurité mais surtout pour asseoir son pouvoir diplomatique et militaire. Gages, à n’en pas douter, des grandes puissances de ce monde.
Par Samantha Ramsamy
Source:http://afriqueinside.com/le-tchad-dans-le-piege-du-chaos-en-centrafrique/