Les Tchadiens outrés par les accusations de parti pris retirent leur contingent de la Mission de soutien à la Centrafrique (Misca). Ce retrait risque de faire basculer une crise déjà complexe dans une équation insoluble.
Le Tchad justifie ce retrait par le fait que malgré ses sacrifices, les Tchadiens font l’objet d’"une campagne gratuite et malveillante tendant à leur faire porter la responsabilité de tous les maux dont souffre la République centrafricaine (RCA)". Cette grave décision du Tchad risque de rendre plus complexe le retour de la paix en RCA. Quand on sait l’efficacité de ce contingent de 800 hommes, on ne peut que se montrer perplexe.
Malgré ses défauts et ses faiblesses, le contingent tchadien reste l’un des meilleurs de la Misca [qui compte au total 6 000 hommes]. Certes, les accusations de violation des droits de l'homme et de bavures se sont multipliées ces derniers temps contre ce contingent. Les dernières en date remontent à samedi dernier [le 29 mars], lorsque ce contingent et les antibalakas [milices chrétiennes] se sont affrontés. Le bilan faisait état de plusieurs morts dont des civils.
Chrétiens soulagés, musulmans désespérés
Toutefois, en dépit de ce triste événement, on n’imaginait pas que le Tchad se retirerait de la RCA aussi précipitamment, tant sa contribution était considérable. Cette décision, lourde de conséquences, est diversement appréciée. Pour les Banguissois qui réclamaient le départ de ce contingent, c’est un ouf de soulagement.
Mais pour les musulmans des villes du nord de la RCA comme Kaga-Bandoro, Ndélé ou encore Sibut qui bénéficient de la protection de ce contingent tchadien, c’est le déluge. Car si des dispositions urgentes et efficaces ne sont pas prises, ils seront à la merci des antibalakas qui sont sans foi ni loi. Il faut espérer que l’Europe qui a décidé de déployer prochainement 800 hommes à Bangui songe à envoyer des forces dans les villes du nord du pays.
Baptisée Eufor-RCA, cette force aura, pour l’instant, la mission de sécuriser deux arrondissements de Bangui, la capitale centrafricaine, et l’aéroport. Elle représente une contribution de neuf pays européens en hommes et de quatre pays en logistique avec des véhicules et des avions.
Cette présence tant attendue contribuera, à n’en point douter, à renforcer l’action des autres forces déjà sur le terrain, notamment l’opération Sangaris et la Misca. En attendant que cette force européenne dont le déploiement débute fin avril soit opérationnelle en mai, on peut dire que sa mise en place est une chose salutaire. Son entrée en scène apportera, on l’espère, du baume au cœur des Centrafricains qui ne savent plus à quel soldat se vouer.
La force européenne ne sera opérationnelle qu'en mai
Cette initiative salvatrice de l’Europe devrait interpeller une fois de plus les dirigeants africains, incapables de résoudre les problèmes qui naissent dans leurs pays respectifs. Le déploiement de l’Eufor-RCA dans les prochains jours à Bangui est la preuve que toute l’Europe a pris le problème centrafricain à bras-le-corps ou, du moins, est consciente de l’intérêt qu’il y a à ramener la paix en RCA.
Il est évident qu’on ne peut exploiter les richesses de ce pays dans le climat actuel. Aucune économie ne peut prospérer dans un pays aussi malade que la RCA. D’où l’intérêt de travailler à ramener la paix, la sécurité et la stabilité. En tout cas, l’Europe a compris qu’il est temps d’agir au plus vite pour que cette guerre qui n’a que trop duré n’affecte pas toute la sous-région.
Si l’envoi de l’Eufor-RCA suscite tant d’espoir, il n’en demeure pas moins que l’on s’interroge ; réussira-t-elle là où les autres forces ont échoué ? Difficile de répondre par l’affirmative. Seuls le temps et l’évolution de la situation sur le terrain nous le diront.
De la "promenade de santé" à la "promenade en enfer"
La crise en RCA a pris une telle dimension qu’il est aujourd’hui difficile de parier sur le succès d’une opération, fût-elle européenne. Le cas de l’opération Sangaris en est l’illustration parfaite. Ce qu’elle considérait au départ comme une promenade de santé, s’est transformé en une promenade en enfer. Avant d’atterrir sur le sol centrafricain, les forces françaises considéraient la guerre en RCA moins complexe que celle du Mali. Mais elles ont eu tort car il s’est avéré plus facile de combattre un barbu enturbanné qu’un antibalaka.
En vérité, la guerre en RCA est comparable à celle des Balkans, notamment au Kosovo, qui a duré une décennie. Ce qui, au départ, était une affaire ethnique, s’est transformé en une guerre d’indépendance nécessitant l’intervention des puissances étrangères comme les Etats-Unis. Certes, la RCA n’a pas encore atteint l’ampleur de cette guerre mais le chemin qu’elle a emprunté pourrait l’y conduire.
En effet, tant que les antibalakas ne seront pas neutralisés, il sera difficile de remettre la RCA sur les rails. Et c’est un euphémisme de dire que l’Eufor-RCA aura fort à faire. Du reste, si elle tient à réussir sa mission, elle devra se montrer impartiale afin d’éviter d’être taxée de complice de tel ou tel camp comme on l’a vu avec l’opération Sangaris accusée par la Séléka [rébellion musulmane] de prendre fait et cause pour les antibalakas.
- Le Pays
- | Dabadi ZOUMBARA
- http://www.courrierinternational.com/article/2014/04/04/la-survie-sans-le-tchad